La panthère noire
[…] La reine de Java, la noire chasseresse,Avec l’aube, revient au gîte où ses petitsParmi les os luisants miaulent de détresse,Les uns sous les autres blottis.Inquiète, les yeux aigus comme des flèches,Elle ondule, épiant l’ombre des rameaux lourds.Quelques taches de sang, éparses, toutes fraîches,Mouillent sa robe de velours.Elle traîne après elle un reste de sa chasse,Un quartier du beau cerf qu’elle a mangé la nuit ;Et sur la mousse en fleur une effroyable traceRouge, et chaude encore, la suit.Autour, les papillons et les fauves abeillesEffleurent à l’envi son dos souple du vol ;Les feuillages joyeux, de leurs mille corbeilles ;Sur ses pas parfument le sol.Le python, du milieu d’un cactus écarlate,Déroule son écaille, et, curieux témoin,Par-dessus les buissons dressant sa tête plate,La regarde passer de loin.Sous la haute fougère elle glisse en silence,Parmi les troncs moussus s’enfonce et disparaît.Les bruits cessent, l’air brûle, et la lumière immenseEndort le ciel et la forêt.
Charles-Marie Leconte de Lisle (1818-1894)