Rudyard Kipling - Les lettres de Matisse

Rudyard Kipling

, par Mme Ridel

Kipling Auteur 2 CR par Matisse Lettres


— Quelque chose monte la colline, dit Mère Louve en dressant une oreille. Tiens-toi prêt.

Il y eut un petit froissement de buisson dans le fourré. Père Loup, ses hanches sous lui, se ramassa, prêt à sauter. Alors, si vous aviez été là, vous auriez vu la chose la plus étonnante du monde : le loup arrêté à mi-bond. Il prit son élan avant de savoir ce qu’il visait, puis tenta de se retenir. Il en résulta un saut de quatre ou cinq pieds droit en l’air, d’où il retomba presque au même point du sol qu’il avait quitté.

— Un homme ! hargna-t-il. Un petit d’homme. Regarde !

En effet, devant lui, s’appuyant à une branche basse, se tenait un bébé brun tout nu, qui pouvait à peine marcher, le plus doux et potelé petit atome qui fût jamais venu la nuit à la caverne d’un loup. Il leva les yeux pour regarder Père Loup en face et se mit à rire.

— Est-ce un petit d’homme ? dit Mère Louve. Je n’en ai jamais vu. Apporte-le ici.

Un loup, accoutumé à transporter ses propres petits, peut très bien, s’il est nécessaire, prendre dans sa gueule un œuf sans le briser. Quoique les mâchoires de Père Loup se fussent refermées complètement sur le dos de l’enfant, pas une dent n’égratigna la peau lorsqu’il le déposa au milieu de ses petits.

— Qu’il est mignon ! Qu’il est nu !… Et qu’il est brave ! dit avec douceur Mère Louve.

Le bébé se poussait, entre les petits, contre la chaleur du flanc tiède.

— Ah ! Ah ! Il prend son repas avec les autres. Ainsi, c’est un petit d’homme. A-t-il jamais existé une louve qui pût se vanter d’un petit d’homme parmi ses enfants ?

— J’ai parfois ouï parler de semblable chose, mais pas dans notre clan ni de mon temps, dit Père Loup. Il n’a pas un poil, et je pourrais le tuer en le touchant du pied. Mais, voyez, il me regarde et n’a pas peur !

Le Livre de la Jungle

Police pour dyslexie ?
Interlignage double ?